racket légal
Une petite question, comme ça... Est ce que vous trouvez normal que dans les transports en commun, lorsque vous vous faites contrôler sans billet, des gens qui ne sont même pas flics :
- vous demandent d'arrêter votre trajet et de sortir.
- vous demandent vos papiers.
- vous empêchent de vous enfuir en vous bloquant, pourquoi pas à l'aide d'un gros baraqué, de 15 CRS ou de la police ferroviaire.
Quelle différence entre les méthodes des agents de transports en commun et du racket ? Ils utilisent les mêmes techniques, c'est la même chose, simplement, comme c'est du racket institutionnalisé, il est moins violent car a moins de mal à se faire accepter. Les gens se disent : j'ai tort de vouloir voyager gratuitement, alors bien sûr, quand les agents de transports en commun m'arrêtent, je me sens culpabilisé et j'obéis sagement.
D'autre part, comme la plupart des gens qui rackettent pour 35 euros, les contrôleurs s'attaquent au plus faibles des faibles.
SNCF, TCL, appartiennent à un service public. Il fonctionne sur le principe qu’on doit donner de l’argent pour se déplacer. On peut se demander par quelles stratégies et pourquoi le transport public nous impose-t-il de payer pour circuler. Les entreprises de transport en commun par leur paternalisme et leur caractère moralisateur nous poussent à accepter qu’elles accaparent un bien indivisible : le droit de circuler. Leur injustice extrême nous fait haïr ce que nous devrions nous approprier.
Les entreprises de transport en commun ont une attitude paternaliste envers les voyageurs. Elles encadrent leur comportement. En premier lieu, elles veillent à ce que les passagers se tiennent bien : il est interdit de poser ses pieds sur les sièges pourris, par exemple. Ensuite, les oublis sont sanctionnés de même que les retards : ne pas composter son billet rapporte 10 euros d’amende et prendre son billet dans le train coûte plus cher qu’au guichet. T’as intérêt à voyager avec tes papiers, parce que le contrôleur peut te les demander. Et puis, faut pas se prendre pour ce qu’on est pas : t’as un billet deuxième classe, interdiction de se caler dans un fauteuil de première (ce qui est encore un facteur de ségrégation sociale). Enfin, bien sûr, voyager gratuit, pas question !
Il y a une dimension moralisatrice dans ces règlements. Ce n’est pas bien d’arriver à la bourre à la gare, il faut bien se tenir dans un lieu public… Et surtout, tu dois payer pour ce que tu utilises. Ce n’est pas bien de frauder, c’est les autres qui payent pour toi. Tous ces discours veillent à responsabiliser les voyageurs. La SNCF, les TCL, la RATP vous éduquent – merci bien ! Cette politique est probablement en rapport avec leur qualité de « services publics ». En tant qu’institution para-étatique, elles ont pour rôle d’inculquer le civisme à leurs usagers. D’autre part, ces entreprises du service participent à notre exploitation. Les fautes des clients sont sanctionnées. Par une amende mais aussi par la prison en cas de multirécidivisme. Les techniques par lesquelles les agents interpellent les fraudeurs sont violentes dans le cas des transports urbains, surtout. Lorsqu’on règle son amende, on est encadré par des gros baraqués. Pas moyen d’y échapper. Ce sont des techniques de racket légal auxquelles nous sommes habitués et qui nous paraissent naturelles et légitimes.
Et aucune excuse n’est valable : il est naturel de se demander si le service public de transport aime vraiment ses usagers, et s’il n’est pas un peu paranoïaque à son sujet. En réalité, il est bien obligé d’exercer une répression. Tout le monde ressent une certaine irritation quant à payer son ticket de métro ? C’est parce que nous savons très bien au fond de nous que nous payons pour quelque chose qui nous appartient de toute façon. C’est un droit naturel que celui de pouvoir se déplacer car c’est une des clefs de l’épanouissement social. Or, le droit de circuler, si jamais les déplacements sont payants, et d’ailleurs pas qu’un peu, est sérieusement limité par les richesses personnelles. C’est un peu la même distinction qu’entre un suffrage censitaire et un suffrage universel (encore que ce dernier ne soit guère garant de démocratie).
Les sanctions infligées par la SNCF, la RATP et autres sont dirigées contre le peuple. Quiconque ne peut pas payer est un criminel, à traîner en justice. Prenons l’exemple d’un mec de 24 ans qui ne touche même plus ou pas le chômage, donc rien du tout. Il n’a pas le permis et pour se déplacer, il dépend de la SNCF ou d’un réseau de bus. Pour trouver du taf, ou même pour avoir l’occasion de bouger, il faudrait qu’il accumule les amendes. Un jour, il va se retrouver avec un sacré procès au cul et peut-être avec la prison à la clef, de toute façon dans une situation pire. Le transport public le maintient dans une incapacité de pouvoir se déplacer. Rester dans son bled de merde, ça empêche de prendre la mesure des inégalités, et ça supprime pas mal de chances de s’en sortir. Le développement de la vente sur internet, la carte bleue obligatoire, tout cela désavantage aussi le peuple.
Enfin, on peut même se demander si ces entreprises ne cherchent pas à se faire haïr. Surtout à la SNCF, ça ne va pas en s’arrangeant. Les usagers deviennent de plus en plus des clients, et ça se retrouve dans les discours de certains employés. Des mesures iniques sont prises à l’encontre des voyageurs, dans les remboursements, par exemple. Faire réduire son amende en arguant d’une situation sociale précaire ou même la faire annuler pour des raisons légitimes devient de plus en plus difficile. La SNCF a de plus en plus un discours sécuritaire, il y a un max de flics dans les gares et plus un seul mendiant. Dans les trains, les contrôleurs sont accompagnés de flics. Dur de négocier ! Et tu risques un contrôle d’identité et de te retrouver au poste encore plus facilement.
Peut-être est ce une stratégie pour d’une part préparer à la fin du monopole public, et d’autre part virer les employés de la SNCF. En se faisant haïr en tant que service public (les trains en retard, les vexations, les dotations inégalitaires par région…), la SNCF nous prépare à son éclatement, à sa privatisation et à la concurrence. D’autre part, les employés sont vus comme les responsables de la politique de la tête de la SNCF et les voyageurs, méprisant ceux qui sont vus comme des feignants, des incapables, n’ont pas de pitié devant la réduction du nombre d’employés.
Au fond le service public n'en a rien à foutre de tes besoins. Tout ce qui compte, c'est que tu casques et que tu ne remettes pas en cause ce principe là. Mais le comble du vicieux, c'est de te convaincre qu'il faut que tu payes pour te déplacer pour aller te faire exploiter au boulot.